mercredi 19 octobre 2011

La moutarde qui fait pleurer

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La récolte de graines 2011, décortiquées.

Hélène : Elle pourrait me monter au nez, mais le résultat en est tout autre. Lorsque j'étais détentrice d'un lot d'un jardin communautaire à Montréal, un voisin jardinier m'avait refilé des graines de moutarde en me louangeant les bénéfices de la plante. C'est vrai, les feuilles sont bonnes en salade et dans des sandwichs. Les graines, on peut les récolter et les utiliser comme ça ou pour en faire le fameux condiment. Le seul ennui (et de là vient le titre de l'article) c'est bien que la décortication des graines est une tâche ardue si on n'est pas bien équipé... Ce qui est mon cas.

Voici une branche... J'en avais une quarantaine à
décortiquer comme ça!
Pour 45g de graines, j'ai eu à faire environ 8 heures de travail. La méthode utilisée cette année se résume à mettre les cosses dans un tamis, les écraser pour en éjecter les graines et les recueillir dans un bol placé dessous. Ce qui rend ça plus compliqué qu'on le croirait à première vue, c'est que l'opération n'est pas parfaite ; certaines cosses ne se brisent pas complètement et on doit finaliser à la main le décortiquage. Il y a aussi le problème que beaucoup de débris et de poussières se ramassent malgré tout dans les graines. Au moins cette étape est simple et pas trop longue : si on brasse les graines dans un bol en métal, les débris se retrouvent sur le dessus. On souffle tout doucement pour que les débris et la poussière s'envolent et il ne reste que les graines. C'est à faire dehors par contre, vous êtes avertis! Une autre méthode que je n'ai pas personnellement testée propose d'écraser les cosses sur une planche inclinée. Les graines roulent jusque dans un bol tandis que les débris restent sur la planche.

Mais pourquoi est-ce que je suis passée par tant de trouble cette année pour des graines de moutarde qu'on peut acheter à si petit prix dans une épicerie? Eh bien, je voulais faire ma propre moutarde et je voulais réessayer du tout début, à partir de la plante qui m'avait laissée plutôt perplexe, à l'époque du jardin communautaire. En gros, mon apprentissage ici, c'est que de récolter les graines, à moins d'avoir la machinerie nécessaire, ça ne vaut pas vraiment la peine. Mais de faire sa propre moutarde, ça oui! Ça vaut la peine, car on peut l'aromatiser à ce qu'on veut : au miel, au sucre, au gingembre, au citron, aux dattes, aux raisins... pourquoi pas au sirop d'érable?
Pour commencer, ma moutarde a été faite au vinaigre de vin rouge et au miel. Le processus de fabrication de moutarde est plutôt simple, on laisse tremper les graines (ou la poudre de graines) dans de l'eau ou un liquide alcoolisé ou un vinaigre. Selon les commentaires que j'ai lu sur le net, la moutarde se conservera moins longtemps dans de l'eau que dans un vinaigre ou alcool, ce qui a dirigé mon choix. Certaines sources disent de laisser tremper les graines 2 heures, d'autres parlent d'une nuit entière. Comme je voulais ma moutarde le plus tôt possible, je ne les ai fait tremper que durant deux heures et c'est peut-être pour cela que j'ai eu un peu de misère à broyer les graines. C'est vrai qu'au pilon et mortier, ce n'est pas très facile. Rendue peut-être au tiers de la quantité qu'il me fallait, j'ai finalement transféré le tout dans le malaxeur à main, mais un mélangeur ou un broyeur aurait probablement mieux fonctionné. Ajoutez le miel et voilà ! Moutarde. Certaines sources disent qu'il faut attendre une journée de plus pour qu'elle prenne bien sa saveur, d'autres jurent que le goût est bien meilleur quelques semaines plus tard.

Nous avions un repas qui demandait de la moutarde le lendemain, alors nous y avons goûté à ce moment et elle est délicieuse! C'est définitivement une expérience que je veux recommencer et la prochaine fois, j'essayerai de la faire avec de l'hydromel! Un dernier truc, quand vous ouvrirez le pot pour la première fois, rappelez-vous de vos cours de sciences et faites un mouvement de main qui amène les effluves à votre nez, plutôt que de mettre le nez dedans directement! Ou vous vous étoufferez comme l'attestent plusieurs vidéos de Youtube. Après tout, vous venez de créer quelque chose de puissant !

La magie des récoltes sauvages...

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Louise : En cette fin d'été/début d'automne, je suis très occupée à parcourir la campagne environnante pour y trouver toutes sortes de bonnes choses à récolter gratuitement, puisqu'il s'agit de ressources abandonnées.

Voici ma corne d'abondance pour cet automne :

- Plusieurs litres de champignons vesses-de-loup qui proviennent de ma propre pelouse (Voici l'article sur le sujet).
- Quelques dizaines de pots de compote de pommes et quasi autant de grands sacs à congélation pleins au deux-tiers de compote légèrement cuite, l'idée étant de ne pas laisser les morceaux de pommes se défaire en purée, pour ensuite utiliser le tout pour faire des tartes ou des croustades.
- Une quarantaine de poires jaunes et sucrées qui sont souvent abîmées par leur chute, mais qui font merveille en morceaux dans le ketchup aux fruits ou en dessert.


Au bord d'une piste cyclable, une dizaine de pommiers
de variétés différentes produisent encore abondamment.
Je les observe depuis une dizaine de saisons et
je n'ai jamais vu personne venir ramasser cette abondance
qui finit immanquablement par pourrir au sol.

- Exactement 3 livres (1,36kg) de baies de sureau, qui ont récompensé ma patience avec 7 beaux pots d'une confiture divine. ( Il faut des heures pour égrainer les petits fruits sans laisser les queues minuscules, un détail dont je n'aurait pas eu à me soucier si j'avais fait de la gelée, mais je préfère tellement plus la confiture !)
- Une dizaine de gros pots de gelée de raisins (si, si, vous pouvez tomber sur des vignes à raisins abandonnées dans nos champs et, tout comme les pommes, les raisins arrivent très bien à pousser comme ça, sans aide humaine).
- Un pot de sauce aux cerises à grappes tellement bonne que nappée sur une boule de crème glacée, c'est devenu mon dessert préféré (pour ce dernier trésor culinaire, je dois avouer que je n'ai pas couru bien loin : le cerisier en question étant sur ma propriété, cadeau de dame nature).
- Des graines de plantain, qui peuvent être moulues pour en faire une riche farine ou utilisées entières dans un pain multigrains ou dans des muffins - il faut beaucoup de patience pour ramasser les tiges de graines mûres et les égrainer à la main (quoique cette dernière étape soit très plaisante à faire, contrairement à l'épluchage de graines de moutarde qu'Hélène vient d'expérimenter il y a quelques semaines). Je prévois en tirer une tasse de farine, ce n'est donc pas une récolte très sérieuse.
- Des racines de bardane (vous savez, cette grande plante qui produit ces horribles boules de "pipics-velcros"). Je n'en ai encore jamais goûté, mais c'est sensé être délicieux et j'ai repéré une belle talle sur un terrain vague, loin d'une source de pollution, que je compte aller récolter en fin de semaine prochaine - je vous en donnerai des nouvelles lorsque j'aurai goûté.
- De la "paille" faite de ces grands végétaux envahissants qui poussent dans les fossés, atteignant facilement plus de 1,5 mètres et dont j'ai oublié le nom. (Voilà, ça m'est revenu : du roseau commun ou phragmite (Phramite Australis spp. Australis). Cette paille sauvage, une fois les épis de graines coupés, ira tapisser plusieurs endroits de mon jardin. C'est donc un paillis gratuit et tout naturel, sans pesticides ou éléments toxiques (si on choisit bien l'endroit où on le récolte). Il a d'ailleurs la faculté merveilleuse de pousser là où il y a des surplus de phosphore, et donc de l'accumuler dans ses tissus, ce qui en fait un paillis riche de cet élément.
- Des sacs de feuilles mortes, laissés au chemin pour être ramassés par la municipalité; ils sont bien plus faciles à "récolter" que la paille, mais peuvent s'envoler plus facilement au vent. Un élément clé d'un jardin riche et bien équilibré, c'est l'apport en matière organique sous forme de paillis, donc cette récolte est certainement aussi utile que celle des fruits ou légumes. Avant de ramasser un sac, je vérifie d'abord si la pelouse contient au moins quelques mauvaises herbes, ce qui m'indique qu'on n'a pas utilisé d'herbicides; en effet, j'évite à tout prix les "pelouses de golf", qui en plus, ont à coup sûr été nourries aux engrais chimiques.


Une abondance très répandue dont les gens commencent à s'occuper!

Presque tous les recoins du Québec cachent des trésors végétaux qui peuvent trouver le chemin de nos cuisines ou de notre jardin. Par exemple, ma soeur se souvient d'un endroit en pleine campagne, site d'une ferme aujourd'hui disparue, où il y avait des pêches, des poires et des abricots, en plus des pommes omniprésentes au Québec.
De mon côté, à cinq minutes de marche de chez moi, en plein village, il y a un ancien verger en face de l'école, tout près de la voie ferrée. Le terrain appartient à Hydro-Québec et la compagnie n'a pas jugé bon d'en couper la dizaine de vénérables pommiers encore vivants et productifs, en plus d'une rareté précieuse : un beau poirier. Je me contente de ramasser les fruits par terre et apparemment, ma seule concurrence est celle des chevreuils qui viennent faire leur tour quotidiennement, laissant partout leurs empreintes et des fruits à moitié croqués. L'abondance est telle qu'ils n'arrivent pas, bien sûr, à tout manger. Je n'ai pas eu à demander la permission pour cueillir à cet endroit qui est traversé par un chemin que les villageois empruntent régulièrement, à pied ou à bicyclette.

Mais si vous remarquez un fruitier dont personne ne s'occupe sur un terrain privé, vous pouvez vous risquer à demander la permission d'en cueillir les fruits. Vous pouvez toujours offrir au propriétaire de lui donner la moitié de ce que vous aurez ramassé et le remercier avec quelques pots de confiture. Les chances sont qu'il sera content que quelqu'un s'occupe du ménage de son terrain pour la modique somme de la récolte elle-même, en tout ou en partie.
D'ailleurs, dans quelques villes au Canada, cet arrangement a été institué en système communautaire, où des propriétaires d'arbres fruitiers invitent leurs concitoyens à venir faire la cueillette, qui est ensuite partagée entre un organisme communautaire ou de charité, le propriétaire et le ou les cueilleurs.

Des fruits imparfaits, mais absolument délicieux !

Je me suis habituée à consommer des pommes non traitées chez moi. En effet, quand nous sommes arrivés ici, il y a 25 ans, il y avait sur notre terrain trois très vieux pommiers qui ont produit pendant encore quelques années avant de mourir. Comme nous ne voulions pas les faire "arroser" de fongicides et autres cocktails chimiques, j'ai dû apprendre à composer avec les pommes piquées et plus ou moins abîmées par certaines maladies. J'ai réalisé ce que nos grands-mères savaient déjà, bien sûr : qu'il est possible d'en faire des compotes et desserts divinement délicieux. Et même si les pertes sont beaucoup plus importantes qu'avec les belles pommes parfaites du magasin, trois vieux pommiers à moitié productifs donnent plus qu'il n'en faut pour répondre aux besoins d'une famille.
Ce n'est donc pas l'occasionnel petit ver trouvé au coeur d'une pomme ou la tache noire sur sa peau qui me fait frissonner de dégoût. Ni la pomme à moitié abîmée. En consommant des pommes non traitées, c'est un peu comme si je pouvais remonter dans le temps, à une époque où l'usage des pesticides et fongicides n'était pas encore devenu la norme, ce qui est très bien pour la santé de ma famille.

À quoi s'attendre, comme récolte ?

Lorsqu'on cueille des pommes qui n'ont reçu aucun traitement et qui, en plus, sont tombées par terre, on peut diviser notre récolte en trois catégories. D'abord, les pommes les plus abîmées ou à moitié mangées par les guêpes et autres bestioles. En général, ces pommes forment les deux-tiers de ce qui est tombé par terre et qui n'est pas déjà pourri. Elles peuvent être mises de côté pour faire du jus ou du cidre. Cette année, j'ai ainsi fourni une bonne quantité de ces fruits déclassés à une collègue dont la famille est l'heureuse propriétaire d'un pressoir à jus. Elle m'a remerciée en m'offrant du jus de pommes brut absolument délicieux, qui se congèle très bien. Sans compter qu'en plus, elle m'a donné l'idée d'acheter moi aussi un pressoir avec d'autres membres de ma famille.
Ensuite, il y a les pommes assez belles pour entrer dans la composition des compotes, ketchups, croustades et autres délices. Elles peuvent être piquées et plus ou moins difformes, et leur peau peut être passablement abîmée, mais sont suffisamment grosses pour  fournir une quantité appréciable de chair intacte. Elles font près du tiers de la récolte.
Enfin, il y a les pommes parfaites. Ni meurtries, ni perforées, ni piquées, leur forme est plutôt régulière, elles sont assez grosses, mûries à point et leur peau présente peu ou pas de défauts. Elles représentent à peine 2 à 5% de ce que je peux récolter par terre. J'ai remarqué qu'elles sont plus nombreuses si le sol est plus mou ou présente une surface assez égale, recouverte d'herbe longue, par exemple.
Ce qui veut dire que sur les quelques deux mille pommes que j'ai ramassées jusqu'à maintenant cette année (oui, vous avez bien lu), une cinquantaine pouvaient être assez parfaites pour y croquer à pleines dents.
J'ai aussi droit à plusieurs variétés, rouges ou jaunes, hâtives ou tardives, plus ou moins grosses et au goût varié. Ma préférée est une grosse pomme d'un jaune très pâle, souvent très peu abîmée et dont le goût est particulièrement sucré. Un délice que même les variétés sucrées de l'épicerie ont du mal à égaler. Mais la majorité des pommiers que je visite donnent des pommes au goût plus acidulé, comparable à celui d'une MacIntosh. J'en ai aussi trouvé une variété jaune dont le goût ressemble à la Granny Smith ! Les toutes dernières pommes que je viens de cueillir sont si acides qu'elles ne sont pas bonnes à manger crues, mais selon mon expérience, elles devraient quand même faire une excellente compote, quoique j'aurai la main plus pesante sur le sucre, pour mettre toutes les chances de mon côté.
Quant aux poires, jaunes, grosses et très juteuses, elles font le plaisir de mon mari, car la poire est son fruit préféré entre tous, mais elles sont plus problématiques à utiliser, car leur chair tendre résiste mal à la chute. Mais celles qui étaient trop abîmées pour être mangées telles quelles ont trouvé le chemin de la casserole pour sucrer le ketchup aux tomates et aux fruits. Bien sûr, j'aurais aussi pu en faire un dessert, ou une compote.

En tout, c'est une grosse caisse pleine de raisins
que j'aurai récolté, avec de l'aide car il nous a fallu
un grand escabeau pour atteindre les grappes les plus belles.
Ma récolte la plus surprenante est sans contredit celle de ces raisins aigrelets, probablement une variété pour en tirer du vin, dont j'ai fait de la gelée. Les vignes s'accrochent à des pommiers abandonnés qui se trouvent en bordure d'un stationnement public et d'une piste cyclable. Quand on s'approche suffisamment, si on a la bonne idée de lever les yeux, on peut voir le sommet des arbres enguirlandé de belles grappes bleu-violacé. J'ai commencé par récolter quelques grappes qui étaient à ma portée. C'était au début septembre. Le jus, pas meilleur au goût que le fruit, a quand même fait une délicieuse gelée, mais plutôt orangée, car les fruits n'étaient pas encore complètement mûris.

Les ceps de vigne montent en vrilles à l'assaut
de pommiers abandonnés.
L'abondance était trop grande pour y résister et j'ai décidé d'y retourner avec ma soeur, munie de mon escabeau pour récolter cette manne inattendue. Et enfin, les grappes que je suis retournée cueillir en octobre, aidée de mon mari, étaient beaucoup plus mûres et nous en avons obtenu un jus aussi foncé que celui de l'épicerie. Cette gelée est encore meilleure.
Donc en tout, en trois séances de 30 à 45 minutes, nous avons récolté environ 3 pieds cubes de grappes, ce qui, en bout de liste, nous a donné plus de 8 litres de gelée de raisin. Et nous en avons laissé derrière pratiquement autant.

Toutes ces récoltes prennent un certain temps à cueillir, bien sûr, et pas mal plus de temps à préparer pour la préservation, mais au moins, je n'ai pas investi une minute de travail à cultiver ces trésors. Je n'ai eu qu'à étirer le bras et ramasser. Et en plus, je n'ai pas eu à concéder cet espace sur mon terrain.


Voici une partie des grappes que nous avons laissées derrière, la récolte étant trop abondante pour nos besoins et en plus, un peu trop haute pour nos escabeaux.

Et vous, auriez-vous le goût de vous risquer aux récoltes sauvages ? Ou peut-être le faites-vous déjà ?

Est-ce que vous seriez hésitant à vous servir? Hélène n'est pas à l'aise, si elle sait que des passants pourraient la voir. Pourtant, ceux qui me voient ramasser cette abondance et qui ont la curiosité de me parler ont une attitude ouverte et positive. Mon mari, lui, a toujours un peu peur que nous enfreignions une loi quelconque en cueillant dans des espaces publics. Bien sûr, je n'irais pas saccager ces endroits pour obtenir des plantes sauvages, pas plus que je ne pénétrerais sur un terrain privé sans permission explicite du propriétaire, mais ici, on parle de fruits de culture, abandonnés au sol, sur des fruitiers ayant déjà fait partie d'un jardin, dans un espace qui a perdu toute sa vocation privée.

Donc, quand il s'agit de plantes sauvages, le mot d'ordre est d'en laisser en arrière pour que la balance naturelle reste, une règle importante à respecter lorsque l'on fait de la cueillette sauvage.

Et vous, qu'en pensez-vous ?